APRÈS LA GRANDE PERDITION, LE GRAND ÉCART, par François Leclerc

Billet invité.

L’accentuation des inégalités n’est pas tenable. Larry Summers, candidat recalé à la présidence de la Fed, artisan de la dérégulation financière américaine sous Bill Clinton et ex-chef du Conseil économique de Barack Obama, rejoint à son tour, mais à sa manière, les rangs de ceux qui en sont convaincus.

« Il y a une génération, la croissance globale de l’économie pouvait être présentée comme ayant une influence déterminante sur la croissance des revenus de la classe moyenne et la réduction de la pauvreté. Une telle affirmation n’est plus plausible », écrit-il le 16 février dans le Financial Times. L’inégalité est devenue selon lui une question majeure, et il prédit sa poursuite ainsi qu’une stagnation des salaires longtemps après que la crise actuelle aura été résolue.

Larry Summers prétend que redistribuer la richesse au détriment des fortunés ne pourrait pas résoudre le problème sans dommage pour la croissance économique : « une telle politique […] pénaliserait [les bénéficiaires d’une redistribution de la richesse] en tant que consommateurs en les privant des fruits des progrès technologiques ». Mais il identifie comme moteur de l’inégalité les revenus des activités financières et convient que l’objectif est d’augmenter ceux de la classe moyenne et des pauvres par le biais d’une réforme d’un système des impôts qui privilégie les fortunes et épargne les entreprises.

S’il propose de combler les failles de la législation fiscale afin d’y remédier, il préconise d’en profiter pour étendre sans perte de revenus fiscaux pour l’État le mécanisme du crédit d’impôt au bénéfice des classes moyennes et des pauvres (à condition qu’ils soient imposables !), car « cela incite à travailler et à épargner ». « Les inégalités devront être tôt ou tard prises en compte », conclut-il en préconisant de laisser agir le marché, une fois ces nouveaux crédits accordés. On ne se refait pas !

L’évolution que connaît le système financier va-t-il vraiment dans ce sens ? Le gigantisme atteint par les grands fonds d’investissement autorise le doute. Ils ont pour nom Blackrock, Apollo ou Kohlberg Kravis Roberts (KKR) pour les plus grands, et leur portefeuille d’actifs ont démesurément augmenté, faisant d’eux des acteurs surpassant par leur taille les banques de taille moyenne. Ainsi, le portefeuille de crédits d’Apollo atteindrait 100 milliards de dollars. Ces fonds ont dernièrement fait leur marché auprès de banques se délestant d’actifs afin de réduire leur taille de bilan et de présenter des ratios conformes à la nouvelle réglementation. Ils interviennent aussi dans des domaines devenus moins rentables et plus risqués pour les banques, en particulier le crédit aux entreprises de taille moyenne. Enfin, ils offrent aux investisseurs des rendements nettement supérieurs aux banques, qui luttent contre la forte érosion des leurs. Celui de RKK atteindrait 27,4% en 2013, tandis que les banques sont heureuses quand elles atteignent désormais 10%. Pour en bénéficier, elles financent les fonds d’investissement en contournant la réglementation, ce qui suscite l’inquiétude des régulateurs américains.

La course aux rendements élevés et au risque a partiellement changé de terrain mais n’est en rien bridée. La distribution inégale de la richesse a de beaux jours devant elle tant qu’il ne sera pas mis un terme à la spéculation financière et que les contribuables devront continuer à payer les conséquences de la crise financière. Reste un petit détail à régler : comment va-t-il être possible de retrouver l’équilibre tout en accentuant un tel grand écart ?